Bumblefoot "Abnormal"

Ron Thal est fou, Ron Thal est libre ! Une fois posée ces deux préceptes fondamentaux, on pourra toujours disserter sur les notions mêmes de folie et de liberté, il faudra bien se rendre à l’évidence, ce garçon atypique a un talent incroyable.

"Normal", paru en 2006, opus précédent, retraçait l’histoire d’un musicien en route pour la folie. Le seul traitement connu brise toute sa créativité et le condamne à ne plus jouer, alors, il cesse de prendre ses médicaments et advienne que pourra. Savoir à quel point ce disque était autobiographique reste un mystère, mais ce qui saute aux oreilles ne 2008 avec le petit dernier, c’est que ça ne va pas mieux côté mental chez Bumblefoot !

Jamais, pour moi, un disque n’a transpiré à ce point la démence ! Il y a une forme d’urgence à ne se laisser imposer aucun schéma dans la démarche de Ron Thal. Du coup, comme son prédécesseur, « Abnormal » part dans tous les sens, entre joie, colère, loufoquerie et délire. Un vrai feu d’artifice, et un vrai régal pour tous ceux qui n’auront pas peur de partir dans un périple loin du cadre rassurant des productions actuelles (son uniformisé, structures rigides etc.).
Bumblefoot, s’est toujours une énorme dose d’auto dérision, de la gravité parfois, de la fureur mais bien sûr aussi une technique purement hallucinante, bien au-delà des mots, une avalanche de notes (mais rien à voir avec Dragonforce), une voix de mieux en mieux posée et une batterie derrière laquelle Denis Leeflang suit Ron Thal dans toutes ses errances.
Certes, cet opus se révèle un chouia en deça de "Normal" au niveau des lignes mélodiques, et emprunte parfois trop les mêmes recettes que son aîné, mais il est d’une terrible homogénéité dans sa diversité (j’me comprends), et il donne une telle impression de liberté (tout dire, tout oser, quitte à flirter parfois avec le too much) qu’il constitue une véritable bouffée d’oxygène dans un monde musical si cloisonné et stéréotypé.
Dire que cela explose en tout sens relève du doux euphémisme. Du punkisant, du country, du metal barré, de la pop, il y en a pour tous les goûts chez Bumblefoot.
Le disque s’ouvre sur un tonitruant "Abnormal" qui se pose en véritable réponse au morceau « Normal » du disque précédent. Un titre direct, bourré de traumatismes à la six-cordes qui font tout de suite crier "Non, Ron Thal n’est pas normal !". "Glad To Be Here" sonne comme un hymne ironique à la joie de vivre avec une touche de Faith No More dans la dérision. Une musique toute guillerette qui vous fera vous lever d’un bon pied les lendemains de couchage trop tardif.
Et puis arrive "Objectify" le morceau le plus tripant du disque, une véritable profession de foi même "You point your finger at me/ I’m a mirror to you/ And you don’t like what you see/And they think I’m insane/Cause I got my own brain/Ya know I really don’t care". Le chant est vraiment habité (c’est une constante sur ce disque, l’ami Ron a fait d’énormes progrès vocalement) et le pont délirant avant ce terrible "the freak must die/But the freak is not I". Rajoutez à cela un solo ultra mélodique qui file le frisson et vous obtenez un morceau très très fort ! Et que dire du bulldozer qui suit "Some Other Guy" ? Encore une réflexion sur l’acceptation de la différence dans notre société. Un thème omniprésent sur ce cd et qui fout mal à l’aise tant certains passage sentent le vécu. Et oui, on sent que derrière le rire et la déconne, il y a de vrais fractures et d’une certaine manière, de la revanche dans l’attitude de ce guitar hero d’un autre genre.
"Jenny B", un autre petit brûlot barré, tout voile dehors, avec une guitare très joueuse qui tourne autour du chant. "Last Time" semble en provenance direct de "Normal" de par son refrain hyper accrocheur. Au bout de six chansons, l’auditeur est déjà KO, par terre, demandant grâce, mais Bumblefoot ne se contentera pas d’une petite victoire, et ce sont 16 rounds que l’on devra se prendre en pleine face. Les influences Beatles ressortent sur "Simple Days", une chanson touchante de plus où le couplet est peut-être encore plus catchy que le chorus.
Nouvelle instant de délire avec le furieux "Conspiracy" introduit par un magnifique "Fuck" ! 1 minutes 20 de folie qui servent d’intro au non moins ahurissant "Piranha" (limite ska sur le refrain). Et toujours cette guitare qui se met parfois à devenir totalement incontrôlable. Maintenant que votre cerveau a rendu l’âme, vous êtes prêts pour un petit morceau de country sur un rythme endiablé (approximativement 220 à la noire !). Une pure tuerie !
Retour au calme (relatif) avec « Green », avant un nouvel exploit extra-terrestre : "Spaghetti" un instrumental, que dis-je, un court métrage à lui tout seul tant on voit littéralement se dérouler l’action de ces vieux polars mettant en scène la mafia italienne aux USA (Tarantino es-tu là ?). "Misery" LE morceau avec des accords plaqués et un solo jouable (merci mon bon seigneur de revenir de temps en temps au niveau de nous, pauvres mortels).
Après cette pause, il est temps d’attaquer la dernière ligne droite, avec un "Redeye" de furie. Une rythmique groovy pour un franc délire humour garanti !
Stop ! Avec tout cela, on n’a que trop peu crié bien fort à quel point la guitare est le prolongement naturel de l’âme torturée de Ron Thal. Avec "The Day After", nous passons par la séquence émotion avec un instrumental toute en beauté qui fait penser aux efforts du même genre d’un certain Steve Vai.
Mais il nous faut conclure, et c’est "Dash" qui vient clore les hostilités d’une manière totalement prenante. Une chanson qui une nouvelle fois file le frisson et qui donne une profondeur incroyable à cet album. Une réflexion pas forcément très joyeuse sur ce que sont nos vies.

Voilà, finalement, ce "Abnormal" est monstrueux, comme sont petit frère, mais avec plus de gravité dans le propos. Musicalement énorme, tant par la maîtrise instrumentale que par la variété des genres abordés, profondément humain, ce disque est une claque énorme qui renferme des tonnes de surprises et d’émerveillement. Eblouissant est le seul mot que je trouve.
Je terminerai par citer Scott Ian, le guitariste d’Anthrax qui déclarait il y a fort longtemps vouloir voir figurer cet épitaphe sur sa pierre tombale "Scott Ian, l’ami des fous et des gens libres…" Et si finalement, Ron Thal venait de nous prouver qu’il faut être fou pour être libre ?